asturias-1652.com    3 Romans de Mer et d'Aventures    Bernard Yves Espla ©   


 
 
 


 
 

 

GOBERNADOR   *   PREMIER TOME
CHAPITRE PREMIER
"Le Visiteur Sévillan"

                                                                                                              Auri sacra fames...       
                                                                                                               Exécrable soif de l'or...  Virgile
 
 L’affaire du « Visiteur Sévillan » qui allait échauffer les esprits de ce côté-ci de l’Océan, durant les deux années qui vont suivre
en précipitant la chute de quelques dignitaires parmi les plus honorables des Indes Occidentales, débute ici, précisément à Port-Royal !  

Idéalement située sur la route des flottes qui ramenaient l’or du Mexique vers Séville, l’île de Sant-Iago de La Vega était l’ancien fief du découvreur Colomb. Cette grande terre espagnole des Antilles que l’on commençait à nommer la Jamaïque, était une escale appréciée des capitaines.
Aucun d’eux rechignait à la contourner par le Sud, à passer à la sonde entre les dizaines d’îlots de son chenal d’entrée, pour mouiller dans l’immense baie en croissant de lune de Port-Royal. Ils savaient y trouver, en plus de fleuves côtiers permettant l’aiguade, une rade longue d’une dizaine de milles sur deux de largeur, aux vents réguliers permettant les manœuvres et aux fonds raisonnables de sable sain.
Ce havre abrité des tempêtes, baigne deux de ses trois rivages, longs de 1500 pieds chacun, que protègent, aux angles, les batteries de ses fortifications. L’endroit, aimable et propice pour relâcher, propose un chantier naval efficient pour les ultimes réparations.
Dans cette escale bénie des Dieux, surpassant en nombre les trois centaines d’entrepôts et les maisons d’habitation, une multitude d’auberges, de cabarets et de lupanars assuraient les dernières réjouissances « de bonne chair, de jeux et de rhum fort» avant la traversée longue et périlleuse du retour vers l’Espagne.
Adossé à sa carapace de crabe bardée de canons, sa pince menaçant le large au bout de sa presqu’île, Port-Royal profitait depuis des lustres de l’énorme commerce avec le vieux monde. Elle prospérait du retour vers l’Europe des richesses soutirées à l'autre formidable partie de l’empire, côté Pacifique, celle sous la responsabilité du vice-roi installé à Lima.
Ce trafic incessant depuis plus d’un siècle, sous la coupe réglée de la Casa de Contratacion - l’administration tentaculaire du roi Philippe el Grande qui en retenait gra
ssement sa part- enrichissait en priorité les « cargadores ».
Ces armateurs, fuyant comme la peste son enceinte triangulaire aussi mal fréquentée, s’étaient curieusement installés hors ses murs. La plupart avaient fait bâtir de vastes estancias, à trois lieues à l’opposé de la baie.
Entre négociants aisés et corsaires enrichis, ils constitueront les premiers résidents de la ville naissante de Santiago de la Vega, située en retrait à l’orée des plaines fertiles de l’intérieur.

Inutile de dire que des cargaisons complètes disparaissaient entre le point de départ et l'arrivée. Des mondes entiers vivaient des prélèvements officiels ou frauduleux, soutirés de leurs cales avant que leurs richesses remontent entre les rives du Guadalquivir jusqu'au pied de la Tour del Oro à Séville, terme de leur voyage. Là encore, jusqu’à l'ultime instant où les chariots plombés pénétreront dans les salles fortes de la Monnaie, les fonctionnaires concilieront sans grand trouble de conscience, le service du roi et leurs propres intérêts.
Parmi eux et combattant leurs vices de leurs propres armes, officiait avec rigueur et poigne l’homme qui venait d’être nommé à l’écrasante charge d'inspecteur général du Trésor : Manuel Lanzada.

 
* * *
 
Début mars 1652 à Port-Royal de l’île de la Jamaïque.

C’est en jurant sur l’accoutrement voyant de son subordonné, que Samuel Georges Somerset rabattit le sac qui occultait la seule ouverture sur le ciel de sa cachette. Son courroux s’estompa dès que le « redcoat » de Jonathan Smith surgit à l’angle du cimetière en contrebas.
Lieu convenu du rendez-vous où allait le chercher Le Ghien son bosco dévoué, fort comme un turc, qui lui servait, ici dans son antre, de maître-queue et de garde du corps.
Immobilisé à terre et obligé de se cacher dans ce cagibi sans confort, sa trogne de rouquin mise à prix par la prévôté de Port-Royal, S.G.Somerset se considère déchu de son illustre rang et de l’épopée qui en faisait le capitaine flibustier le plus redouté des alentours. Sa dernière expédition fut un véritable désastre et il avait perdu son navire dans des conditions bien indignes de sa stratégie.
De plus, comble de son infortune, les rescapés de son équipage lui ont immédiatement demandé « la comptée » avant, pour la plupart, de courir offrir leurs bras aux autres capitaines, plus chanceux que lui, qui écumeront à sa place la mer des Caraïbes si giboyeuse en galions.

Il allait sanctionner Smith pour la forme mais, dans son for intérieur, son sang s’échauffait du plaisir de revoir son lieutenant, sur les épaules étriquées duquel reposait son proche avenir. Avançant en âge, sa couenne aux crins roux, le faisait se méfier des nègresses et des indiennes, engeance ici aux dents limées, raffolant de chair humaine. Il s’était éloigné des femelles qu’il avait possédées souvent par force dans ses campagnes, ne confiant depuis sa virilité qu’aux prostituées déventrées qu’il payait trop grassement pour trouver réellement son plaisir.
Alors, claquemuré dans ce galetas immonde, s’ajoutait à l’aigreur de sa déconfiture flibustière, la solitude du pourchassé, du banni reclus dont les émissions inondaient la litière.

Aussi, depuis quelques temps, Samuel Georges reluquait son jeune lieutenant qu’il appelait « Jonas ». Blasé des frasques d’antan il s’était sottement entiché de ses fesses pommées, perchées en haut de ses jambes d’échalas… Nudité masculine soudainement appétissante, pourtant familière entre marins profitant des averses, fréquentes et torrentielles sous ses latitudes, pour dessaler leurs cuirs comme leurs habits.
Mais « Jonas », son fringant midship, au visage poupin vingt ans plus jeune que lui, adorait toutes les femmes et s’en régalait chaque fois qu’il était à terre. Ici même à Port-Royal, durant le temps de sa mission, sa logeuse pourtant plus de première fraicheur, l’avait aussitôt récupéré dans son lit.
En conséquence, hors l’obéissance obligatoire lors du service à la mer où son dévouement de soldat irait jusqu’à la mort, Jonathan Smith n’avait jamais remarqué ni porté attention aux regards concupiscents de son chef.

Et en l’attendant, S.G.Somerset ruminait sans arrêt, s’échauffait d’impatience dans cette soupente au toit percé où il crevait de chaleur.
Somnolant le jour et supportant, la nuit, les braillards du « Cochon volant » la taverne d’en dessous qu’un parterre en planches de pont, bien trop immobile à son goût, séparait de ses talons.
Sa chance et ce qui lui faisait accepter sa passagère infortune, était que sa fenêtre « son sabord » se trouvait en face du mur-clocher d’une chapelle délabrée datant de la colonisation de l’île, toute envahie de ronces. Un oratoire, où du Ciel, imploré par des générations de coureurs de mers, pleuvaient des plâtras.
Un sain refuge abandonné des fidèles pour cause de construction d’une nouvelle église, à deux encablures de son repaire, sur la place d’armes où manœuvraient les novices de la forteresse. Edifiée en belles briques en forme de croix, rutilante des ors des « généreux cargadores donateurs » de la ville neuve voisine de San Iago de La Vega. Vidé de la clarine en bronze qui servait de tocsin au clocher neuf, ce haut mur percé n’était éloigné de sa tanière que de la grosse toise et demie du passage du cimetière, traverse qu’enjambait un providentiel tronc de cocotier.
Ce reste d’échafaudage «tout juste épais comme l’une de ses vergues » qu’il traversait les yeux fermés, restait l’échappatoire principale de son nid d’aigle. Quelques aunes de corde de chanvre, échappées des dents des lapins, permettait au fuyard de glisser jusqu’à terre sans se rompre les os.
C’était sa dunette « son nid de pie à lui » où marin privé de son élément, le pirate rouquin reniflait l’Alizé, chargé des vapeurs d’océan, qui balayait les remugles putrides de Port-Royal. Et surtout, de son perchoir, il voyait largement les deux côtés de la presqu’île : au Sud vers le large et sa prochaine liberté et, par-dessus les toits à clins des maisons basses et des entrepôts de la ville close, les hauts des mâts de la quantité de navires en instance de débarquement qui mouillaient à l’abri des canons de la forteresse San-Carlos dans l’immense baie en croissant de lune. Assurément, ceux qui dépassaient étaient ceux de l’Asturias, objet de toutes ses pensées et de l’opération faramineuse qu’il concoctait depuis quelques temps.

Son enfermement durait depuis trois semaines. Délai qu’il avait imposé à « Jonas » son cher second, pour réunir les composants éparses du puzzle, tous indispensables à la réussite de son extraordinaire projet qui allait le propulser à nouveau au pinacle de la flibuste.
Et, aujourd’hui, comme convenu, Smith revenait faire son rapport… Et, sa colère retombée sur la vareuse sang de bœuf de midship Anglais, il allait l’accueillir avec bienveillance et bonhomie.
S’assurant, depuis son observatoire, qu’il était bien seul, Samuel Georges siffla le signal à Le Ghien, son fidèle bosco, de récupérer le blondin dans la venelle en contrebas et de l’amener discrètement jusqu’à lui. Bien qu’il l’attende, Smith fut surpris par l’arrivée furtive de son premier maître qui le salua de deux doigts à son calot. Après un ultime coup d’œil aux alentours, il emboita son pas et entra derrière lui par la porte basse d’un cabaret à l’enseigne délavée du «Cochon volant » 
La grande salle basse est obscure et vide de sa clientèle interlope nocturne ; un mur de futailles occupe le fond et partout, des tables chargées de bancs à l’envers. L’atmosphère croupie est saturée de l'odeur sirupeuse du rhum mêlée aux relents écœurants du pétun et de la crasse. Dans le sillage de son bosco, Smith traversa la taverne jusqu’à atteindre une grande cour en terre battue qui servait de cuisine à ciel ouvert et d’entrepôt aux dizaines de barriques vides du tavernier. L’air du lieu était à peine plus respirable que celui du cabaret et son passage dérangea un nuage de mouches attablées aux reliefs de viande de tortue pendues aux crochets. 
Même Smith ne connaissait pas ce nouveau refuge de Somerset qui dépassait en vulgarité tous ceux que les aléas de sa tumultueuse vie d’aventurier, l’obligeaient quelquefois à occuper durant ses fugues.
Habité d’une méfiance de renard, Samuel-Georges changeait sans cesse de terrier lorsqu'il était immobilisé à terre. Et, nous l’avons bien compris, assigné sur l’île par la force des choses, sa défaite restait un affront sanglant à sa réputation qu’il ne pouvait tolérer plus longtemps. 
Aussi, l'opération qu’il mijotait depuis cette mauvaise soupent
e avait pour but, justement, de lui procurer le plus prodigieux des navires qui naviguaient actuellement dans les eaux des Caraïbes : “l’Asturias”!
 
Le capitaine Samuel Georges Somerset était originaire du Yorkshire; d'un port de pêche du nom de Kingston Upon Hull sur la rive nord de l'estuaire boueux de l'Humber; lieu où il avait fait son apprentissage de la mer. Roux de poils, massif et trapu, il était autant connu sur toutes les mers des Antilles pour sa férocité que pour ses favoris flamboyants qui envahissaient ses joues. Il portait sa quarantaine avec verdeur, un âge canonique pour un flibustier car ici, peu y parvenait. Sous ces latitudes étouffantes, survivait une population largement décimée par l'alcool, les maladies honteuses et toutes les multiples raisons qui empêchaient les aventuriers de vieillir : la mitraille, le naufrage ou la corde.
Sur la vaste mer des Caraïbes, on l’appelait le «Capitaine-Boucher» et sa réputation de sauvagerie le précédait jusqu’aux confins du golfe du Mexique. Quand l'occasion se présentait, il ajoutait régulièrement quelques cruelles démonstrations afin que jamais ne s'estompe son avantageuse notoriété. A dessein, il entretienait le mythe hideux que le sang frais ravivait le cramoisi de son poil et n'hésitait jamais à s'en barbouiller la face... Ce fard macabre terrorisait ses prisonniers, dont les rares survivants colportaient alors, à tous vents, l’efficience de sa terrible cruauté. Sa réputation de tueur dépassait, assurément, les bornes de la vraisemblance bien que dans ce siècle troublé, les tueries étaient quotidiennes et leurs sauvageries atteignaient, en ces lieux, les sommets de l'horreur.  L'époque survoltée voulait que toutes les passions s'exacerbent et la cupidité, la luxure, la haine et la convoitise des biens du voisin fournissaient les raisons nombreuses et variées pour s'entr’égorger gaillardement.

Sur le minuscule palier en haut de l’échelle de meunier, machinalement, le midship rectifia sa tenue en fermant le bouton de son col. Et, dès l’ultime porte franchie, c’est le torse bombé, dos cambré et les yeux à l’horizon, qu’il salua son chef en claquant des talons; respectant l'Etiquette instaurée en sa présence. Imprégné de ces convenances, Jonathan Smith, raide à trois pas de S.G.Somerset, s'apprêtait à rendre compte de sa mission sans bouger d’un cil de sa position.
Soudain, l’atmosphère changea quand un sourire complice éclaira la face rougeaude de son chef.
        « Allons, mon bon Smith! Prenez place en face de moi et contez-moi l'avancement de nos affaires!»
Surpris de la convivialité inhabituelle de son supérieur, Jonathan Smith s'approcha et resta debout, les yeux bien droits devant lui, comme le prescrivait le manuel.
        « Allons, allons, Jonas Smith! Ne restez pas planté comme un piquet, asseyez-vous donc! »
Obéissant, le subordonné s'attabla en tirant sous lui un tabouret crevé et ouvrit son maroquin de cuir fauve.
        « Sir! Mission accomplie, voici le visa autorisant la « Rose-Mary » à se mettre sous la protection de l'Asturias pour notre traversée !»
En sortant le précieux document, Smith insista sur la difficulté de sa démarche, du simple fait qu’il ne pouvait encore montrer au contrôleur soupçonneux de la Casa, ni bateau ni cargaison…
Ecueil qui justifia l’escudo d’or, qu’il avait dû abandonner d’emblée au fonctionnaire, pour arrondir les angles et qu’il voudrait bien lui rembourser.
La chose admise et son état de caboteur anglais reconnu, il avait payé sans rechigner l’Avéria pour les frais d’escorte et l’Almojarifazgo, redevance variable sur la marchandise circulant dans l’empire.
Si, satisfait, S.G.Somerset sourit en dépliant le passeport estampillé aux armes de l'administration espagnole détachée à Port-Royal, autorisant l’embarcation à profiter de la protection du navire de guerre. Il déglutit, lorsqu’il déchiffra le montant exorbitant qu’il venait de débourser. Il convient que c’était la pièce indispensable au puzzle que, patiemment, il assemblait depuis plusieurs jours.
      «Quand est prévu l'appareillage de l’Asturias?»
      «Dans trois ou quatre jours, Sir!
        Il doit assurer la correspondance d'une petite flottille venant d'Espagne. La tempête à due la retarder, mais elle va arriver incessamment»!

Le capitaine acquiesça de la tête et sourit; abreuvant son bosco en ville ses informateurs l'avaient déjà renseigné à ce sujet.
      «C'est exact, Smith! On m’a annoncé des voiles au passage de la Monna, il y a quinze jours de cela.
        Je peux même vous dire qu'elles transportent des passagers de marque... Ils ont été aperçus alors qu'ils faisaient halte à Santo Domingo...
       Depuis, nos galions ont repris la mer et doivent être à longer l'île aux vaches!»

A peine une centaine de milles entre l'île aux Vaches et Port-Royal; sauf manque de vent ou contrariétés consécutives à la flibuste, le convoi serait ici après demain, au plus tard dans la soirée.

Sans perdre plus de temps, S.G.Somerset dévoila son plan dans les grandes lignes, expliquant dans le détail les seules actions que Smith devait mener seul, en véritable commandant de cabotage, qu'il incarnait depuis quelques temps.
Avant de le renvoyer pour leur exécution, Samuel Georges désigna, depuis son perchoir, ce qui lui avait donné l’idée du subterfuge : la cinquantaine de barriques vides alignées dans la courette en contrebas, qui allait être sa cargaison.
Une quinzaine de ceux-là, aux douves teintés au Sangre de Toro, seront sortis dès son ordre dans la ruelle derrière par Timothée, le tenancier du « Cochon Volant », beau-frère de Le Ghien, son bosco.

En toute première mission, S.G.Somerset l'avait chargé de faire l'acquisition d'une grande barque pontée. Pour cela, il avait ouvert son coffre pour y puiser bien à contrecœur, quelques centaines de piastres. Il devait passer par là, non que cette dépense l’enthousiasma - d’habitude, il volait ses bateaux- mais il n’avait pas le temps, ni l’envie de prendre le moindre risque de se faire repérer ici.
L’opération qu’il mettait au point avec minutie était trop importante pour son avenir et nécessitait le secret absolu.
Quant à l'état du bateau que son beau Jonas devait lui procurer, il pouvait être vieux et délabré pourvu qu’il tienne la haute mer quelques jours encore.

Avec sérieux, Jonathan Smith s'était acquitté de cette tâche et avait négocié l'achat d'une barque de cinquante pieds, lourde et culottée de plusieurs lustres d'océan. En professionnel, il en avait inspecté les fonds vides, secs et propres, débarrassés des milliers de livres de pierraille qui en faisait le lest pour en augmenter sa capacité en charge. Il frappa chaque membrure dont la résonance particulière assurait de l’absence de tarets, coquillage redouté dans ces eaux chaudes, qui perfore les coques de chêne les plus épaisses. Pour clore son expertise, il vérifia de son coutelas l'épaisseur des calfats des plats bords qu'il jugea satisfaisante.
Acquise d’un coquin Espagnol, qui détenait officiellement ses papiers, son prix fut âprement discuté à la manière des Andalous.
Lors d’une négociation fastidieuse et exaspérante pour l'Anglais qui jugeait ces palabres inutiles et vulgaires. Après s'être mis d'accord, la transaction fut réglée rubis sur l'ongle, avec la condition d’amener l'esquif du chantier naval jusqu'au bassin de
Port-Royal.


Bien que ne possédant pas encore de bateau digne de son commandement, le capitaine Somerset pourrait compter sur cette grande barque pontée à mâture volante et voile bermudienne. D’emblée, il l'avait baptisée “la Rose-Mary” en souvenir d'une gueuse repêchée un soir d'orgie dans la fange des bouges infâmes qu'il fréquentait depuis qu'il courait la fortune. Bien piètre navire pour la course, lourd et sans panache, la “Rose-Mary” s'avérera une solide barque de commerce, un leurre idéal pour l'opération prochaine. Depuis son acquisition et en attendant son fret, elle était amarrée, pacifique et ventrue, à l'ombre des murailles fleurdelisées de l'Asturias.

S.G.Somerset fit répéter plusieurs fois les ordres qu'il avait donnés à son subalterne et, une fois persuadé qu'ils étaient correctement assimilés, le renvoya pour leur prompte exécution.
Alors que Jonas, son midship le saluait avec raideur, Samuel Georges qui attendait ce moment-là, s’aventura à un geste tout à fait inconvenant :
Il agrippa à pleine paume le séant pincé de son second !

En dégringolant l’échelle Jonas bourdonnait d’une chaleur de pucelle ; tout ébahi de l’extravagante familiarité de son commandant!
Lui, d’habitude si hautain, l’invitait à s’asseoir à sa table et en prime, lui flattait la croupe comme il l’aurait fait à une catin!
Smith sursauta lorsque Le Ghien jaillit du recoin frais où pendait son hamac. Son premier maître découvrit l’issue percée dans l'enceinte de la cour, dissimulée sous un paillé de bagasses. Celle-ci donnait sur la ruelle à l'arrière de la taverne et c’est bien par ce passage discret que demain, les barriques sortiront.
Rouge de confusion, Smith rejoignit sans détour le quartier du port.

 
* * *

Halaient jusqu'aux pontons en contrebas des bureaux de la Casa del Océano, les bateaux en transit étaient déchargés par une noria de nègres, à la force décuplée par la trique des contremaîtres. Après le passage des fonctionnaires évaluateurs, les marchandises diverses se déversaient et se comptabilisaient sous l’œil vigilant des courtiers en tous genres. Chargés à rompre leurs essieux, des tombereaux aux grandes roues cerclées de fer emportaient ce fret précieux vers des entrepôts gardés par des miliciens en armes.
Investissant quelquefois son pécule dans un autre trafic tout aussi lucratif, Jonathan Smith voyait accoster avec intérêt des bateaux entiers de “bois d'ébène” en provenance des rivages d'Afrique. Ceux-là arrivaient en droite ligne du Levant, de “Gorée la regrettée” comme l'appelaient les esclaves enchaînés. Pour un autre que lui, c’était un spectacle poignant de voir ces hommes, femmes et enfants, hagards et titubants du poids de leurs fers, éblouis par le soleil ardent que leurs yeux avaient oublié dans l’obscurité des cales.

En cette fin d’après-midi, la rade de Port-Royal exposait un tableau rude et brutal, surchargé de couleurs et de fortes senteurs d'épices avec, en second plan, la forêt de mâts haubanés des navires en partance dont les plus élevés sont incontestablement ceux de l'Asturias.
En face de lui, le grand navire a fière allure et pour nourrir l’appétit insatiable de son commandant, qui l’admire seulement depuis son mirador, Smith a pour mission essentielle de glaner le plus d’informations possibles sur ce vaisseau de ligne.
Il écuma les tavernes et les cabarets à marins, jusqu’à repérer, à son accent, l’un des maîtres d’équipage du navire en rade, par chance, Gallois comme lui. Après quelques pintes fraternelles, ce bavard -qui dit se nommer Taillefer- raconta toute l’épopée du bateau, indiquant les dates des campagnes, l’amure des vents et mille péripéties survenues en mer, avec la même précision que s'il avait été chargé des écritures des capitaines. Récit retenu et fidèlement rapporté à S.G.Somerset à qui il résuma la courte aventure du navire.

 

Navire prit à l'ennemi Français, c'est sous le nom de “l'Asturias” qu'il devînt le fringant vaisseau amiral d'une flottas chargée jusqu'au pont de produits manufacturés, qui traversa sans ambages l'océan vers les colonies des Indes Occidentales.  Depuis huit ans, il naviguait sous la bannière de la couronne d’Espagne dans les eaux des Caraïbes, des Bermudes et dans le golfe du Mexique, escortant les galions ou transportant lui-même des notables d'un bout à l'autre de l'archipel des grandes et des petites Antilles.

Parvenu au parapet du bastion del Norte, à l’endroit où les trois canons dégoulinant de rouille surplombent les pontons, Smith a assurément la meilleure vue sur la rade pour jauger cette magnifique coque.

« L'Asturias est un vaisseau puissant de trois mâts et beaupré, de fort tonnage, qu'il estime d'une cinquantaine de pieds environ, au maître bau, sa plus grande largeur. A l’œil, la hauteur de son grand mât équivaut à sa longueur, taille qu'il évalue à quelque deux cent dix pieds. Ce qui voulait dire qu'il a un tirant d'eau d'au moins dix pieds, peut-être quinze en charge. Cette profondeur explique qu'il mouille si loin du bord, là où les récifs de coraux, distant sous sa quille, autorisent son évolution.
Le navire possède toutes ses bouches à feu. Un bel armement flambant neuf sortant des fonderies de l'arsenal royal de Santander. » En comptant les mantelets des sabords, Jonathan Smith dénombra soixante-huit ce qui voulait dire autant de canons. Il remarqua une particularité qui devait en faire un redoutable adversaire : Sa proue était garnie de huit pièces de chasse et sa poupe de douze canons de retraite. Sans compter les couleuvrines de ses dunettes et des bastingages, diverses fourches vides à faucons, sans doute remisés dans son magasin d'armurerie.
La taille majestueuse du navire intimidait le jeune sous-officier. Jusqu'alors il n'avait navigué que sur de grandes barques anglaises, toutes dérivées des modèles dieppois “Dragon et Hirondelle”, rapides et maniables, mais légèrement armées pour l'abordage.
La barque pontée, acquise pour l'expédition imaginée par S.G.Somerset, qui se balance devant lui, ne sera pas aussi vive que celles conçues par ces diables de Français et l’examen détaillé du puissant bateau de ligne lui faisait douter des chances de réussite de leur folle entreprise.
Il remit son calot et écarta de son esprit toute éventualité d'échec qui leur serait fatal. Il redescendit de la redoute del Norte sans lambiner davantage car bien des choses restaient à mettre en ordre avant le départ.

* * *

Avec la rapidité qu'a le crépuscule de tomber sous ces latitudes, il faisait nuit quand il retourna dans la basse ville. Bien malgré lui, il se trouva mêlé aux officiers espagnols qui arpentaient les premières ruelles où prospéraient les tavernes à femmes. Ils s'agissaient d'hidalgos à la barbe pointue, fils de familles métropolitaines arrogants et imbus de leur personne, tous fraîchement débarqués des navires malmenés par l’océan. Jonathan Smith les savait volontiers chicaneurs et peu enclins à partager leurs havres de débauche avec les autochtones. 
Le midship anglais rectifia sa tenue et son maroquin de capitaine de commerce sous le bras, suivit la troupe bouillonnante des officiers espagnols. Riant de leurs sottises et échangeant une politesse à l'entrée du cabaret, il s'assit en bout de leur table.  Sa courtoise conversation s'épuisa vite par manque de vocabulaire. 

Effectivement, dès qu'ils pénétraient dans un estaminet, toujours en groupe, ils en chassaient de leur rapière les consommateurs qui s'y trouvaient en conservant pour leurs services les filles de salle et les prostituées.  Une fois les lieux investis, ils s’installaient et buvaient comme des trous, dévorant des quantités énormes de viande rouge qu’ils pimentaient à outrance. Il est vrai que la vie au large sur les vaisseaux du roi tendait à resserrer leurs ceintures et d’évidence, peu d'entre eux étaient gras.  Ici, pour quelques maravédis, chacun pouvait se goinfrer de viande fraîche de bœufs sauvages abattus l'après-midi même dans la forêt toute proche. Une fois rassasiés des plaisirs de la bouche, ils assouvissaient leurs appétits de chair avec des négresses, indiennes et mulâtres, toutes filles sans vertu que leurs doublons attiraient comme des essaims de mouches.

Bientôt les débordements liés à l'alcool annihilent tout échange cohérent.
En compagnie de ces buveurs redoutables, Jonathan Smith, prudent, coupait son rhum afin de garder la clarté d’esprit nécessaire à la bonne exécution de sa mission.
Bientôt, tous se mettent à pétuner de leurs fines pipes et la fumée épaisse embruma l'atmosphère déjà glauque de la salle. Smith sait d’avance qu'ils abandonneront vite leurs pipes en terre pour le cigarillo local, une spécialité des îles.


Le pétun est une pratique religieuse héritée des Indiens des îles. On comptait en ce lieu de nombreux adeptes qui prenaient plaisir à inhaler la senteur âcre du tabac. Les Espagnols étaient devenus friands des exhalaisons de cette plante et raffolaient surtout de la façon coquine des donzelles du cru - les cigarières- pour fabriquer les fameux “cigarillos” devant eux. Pour quelques pistoles, ces indigènes s’exhibaient quasi nues sur les tables et roulaient les feuilles souples de tabac sur leurs cuisses ou leurs ventres crépus! En plus du spectacle prisé par tous les spectateurs, ces manières procuraient aux cigarillos, un goût suave et un arôme incomparable!

La tenancière, une matrone joufflue entre deux âges, apporta à leur table un chaudron de cuivre très culotté. Quelques claques écartèrent les mains basses des soudards de ses jupons alors qu’elle leur sert, à louches débordantes, des écuelles de haricots noirs, de fèves et de pois chiche baignant dans une sauce à l‘huile brûlante. 
Affamés, les Andalous se jettent sur la nourriture et ingurgitent, à pleine bouche, des fèves rouges : de véritables charbons ardents tant l’accompagnement est pimenté! Là-dessus, pour éteindre l’incendie, ils vident des dames jeannes de ratafia que la malicieuse gargotière allonge d’un mauvais jus de bagasse qu'ils avalent, gosiers brûlés, sans faire la différence. 
A la suite, venant des brasiers d’une cuisine qu'on aperçoit par la porte ouverte sur la cour, des négresses apportent “le churrasco” : ces pièces de viandes variées embrochées qui grésillent sur des épées rougies. Alors commence réellement la frénésie, lorsque les servantes fichent les lames fumantes dans le bois des tables en prenant appui lestement de leur pied sur les bancs dans le dos des convives enflammés. Cette danse provoque l'apothéose quand les convives échauffés flairent, si près d'eux, les mollets nus des femelles.
Pour l’heure sous leur nez, les viandes crépitantes et ruisselantes de graisse surpassent leurs autres envies qu’ils assouviront plus tard dans la nuit. Les hidalgos extirpent de leurs bo
ttes leurs coutelas à l'acier de Tolède, qui à tous servaient de rasoirs et se rassasient de viandes à s’en faire éclater la panse. Enivrés par l'alcool fort, tripes brûlées par les piments et les sens enflammés par les jambes dévoilées des serveuses friponnes tous s’esclaffent très fort de leurs excès. 

Alors, de leurs lames effilées, sorties tantôt pour trancher la viande grillées des rapières, tous vont vouloir prouver leur bravoure à leurs voisins, par le jeu dangereux du “Corcovado". Un exercice d’adresse d'autant plus périlleux pour les mains, que la beuverie était largement avancée. D’ailleurs, beaucoup y laissent des doigts en gardant des stigmates indélébiles aux paumes ; en souvenir du Saint Supplicié qui avait donné son nom à cette diablerie!
Pour régler la cantinière de ses largesses, les pièces de huit jaillissent de leurs escarcelles. Pour ceux qui n'en ont plus, la matrone accepte quelques maillons des chaînes d'or que la dernière mode sévillane faisait tourner largement autour de leurs cous.
Des belles chaînes, elle en faisait des morceaux qu’elle coupait de ses puissantes dents, larges et plates comme des tenailles!
Et l'heure de payer son écot, ici, déclenche toujours des cris, surtout quand la forte femme approche ses mandibules des doigts économes des maillons. Beaucoup retirent leurs mains sous la morsure, ce qui leur coûte un ou deux anneaux d'or de plus.

Témoin frugale en retrait des débordements, Jonas Smith n’a grappillé que quelques miettes et s’effaça pour laisser partir trois militaires rubiconds, dont le service à la forteresse obligeait au retour.
Ce n’est pas le hasard qui a mené Smith dans cette taverne : il sait y trouver des éléments indispensables à l’affaire qui l’occupe. Connaissant la vénalité de l’endroit et achevant le fond de son rhum, il a vite repéré parmi les espagnols attablés, ceux qui correspondent aux profils que chassent par les putains de l’endroit : des métropolitains nouveaux venus les plus imprudents, les plus saouls où ceux qui montrent ostensiblement leur richesse.
Cette nuit même, certains ne rejoindront jamais leur bord, ni la forteresse pour les novices. Des pièges mortels les attendent dès qu'ils suivent les filles sur les grèves au-delà de la palissade... Lieux peu fréquentables où ils vont tomber dans des traquenards tendus par les frères, les cousins ou conjoints des femmes et, où, hélas, le maniement expert de leurs épées n'empêchera pas leur trépas.

Autour de Jonathan Smith les bancs se sont progressivement vidés... Les valides emportant les vaincus. Mais tous les espagnols ne sont pas retournés à leur caserne ; certains ont suivis les filles dans la soupente au-dessus du cabaret. D’ailleurs, en tendant l’oreille, il perçoit leurs ébats furieux depuis que ces braillards d'Andalous ont quitté la salle.
Bien qu’il ait patienté une bonne partie de la nuit, aucun des convives attablés ne prononça les mots convenus et c’est dépité du sommeil perdu que le jeune lieutenant se leva pour partir… lorsqu’une porte s'ouvrit dans l’arrière salle. Un rustaud apparut et, contournant les travées de bancs renversés, se dirigea sans hésitation vers le midship sur le départ.
     «Je suis celui que vous attendez, Captain!»
L'homme enjamba le banc opposé et y cala sa lourde carcasse. Après un bref salut, Smith se rassit et exposa sa demande : 
    
     «J'ai besoin d'uniformes et d'armes pour mon équipage, un ami commun m'a assuré que vous pourriez m'aider et que j'aurai du choix chez-
vous!» 
Ecoulant le produit de sa meurtrière entreprise, le larron en face de lui est devenu armurier-fripier. Il justifie d'une collection d'uniformes de toutes tailles, dont il fait un discret et lucratif commerce.

Il faut dire, pour expliquer le coupable trafic du larron, que suivant un manège bien huilé par des années de pratique, sa propre sœur échauffait un espagnol dans la salle et le soldat aguiché la suivait jusqu’à un carbet en palmes, l'un de ces dizaines d'abris des pécheurs sur la grève. Là, sa méfiance vaincue par les caresses expertes de son métier, l’hidalgo enflammé la chevauchait sur les filets. Complice active du traquenard tendu mais respectueuse du salaire empoché, la garce ne rechignait pas à la tache, ni cherchait à se soustraire à son ardeur. Bien au contraire, elle faisait jouir son client “doublement” quand la mort venait le cueillir. Epanoui de son coït, le paillard andalou passait "de vie à trépas" sans même s'en apercevoir. La drôlesse n'était pas à son premier guet-apens et l’efficace gourdin, ou le lacet de cuir, selon le cas, de son complice dissimulé dans la cabane, savait promptement finir la besogne. C'est ainsi que le fripier complétait sa garde-robe des frusques, bottes, armes et chapeaux de ses victimes. Le jour même les uniformes étaient lavés, ravaudés et pliés avec soins dans des coffres de sa réserve. Les armes récupérées restaient sa part exclusive, alors que les bijoux entraient par moitié dans le magot de son associée, la mégère aux robustes mâchoires. Quant aux soldats disparus, si leur désertion du bord était signalée, la prévôté retrouvait, dans les marécages environnants, les corps dénudés -décapités à la mode habituelle des Indiens- qu'elle avait beaucoup de mal à identifier. 

 
Reconnaissant, sans erreur, dans la personne de son acheteur, un Anglais à coup sûr très susceptible, il s'empresse d'ajouter qu'il ne dispose pas de tuniques de son pays, mais savait où en trouver... En fait, Jonathan Smith vient négocier, ici, l'acquisition d’uniformes militaires jugés indispensables par S.G.Somerset pour la réussite de sa prochaine expédition. Et s’il comprenait l'achat des tenues d'officiers espagnols; destinées à affubler quelques-uns de ses renégats parlant correctement la langue, et endormir la méfiance des Castillans. 
Le second estima son chef « déboussolé » d'ordonner de nipper son équipage de vulgaires pirates en habits écarlates de la marine anglaise!...
Le prix élevé fut discuté tout aussi âprement que pour la barque et parvenu à un compromis, un acompte fut versé au fripier en bonnes piastres scellant l’excellence du marché. Il fut convenu que les tenues et des armes commandées, dissimulées dans des tonneaux, seraient livrées au «Cochon Volant » dès le lendemain, où le montant restant serait versé.

L’affaire faite, Smith rentra à l'auberge cossue proche de l’église en construction, où il avait établi les quelques effets faisant de lui un respectable commerçant en spiritueux.
Il avait raconté à sa logeuse, qui s'étonnait de ne voir aucun échantillon d’alcool dans ses sacs, que ses outils de travail étaient sa langue et son nez. Si bien que la tenancière gourmande, dont les sémillantes prédispositions du blondin échau
ffaient le sang, lui demanda son avis sur toutes les liqueurs qui composaient sa cave.

Il faut croire que la gargotière su y faire car le jeune Anglais goûta peu de son rhum mais dégusta, sans retenue, les appâts généreux offerts par la donzelle. Cette "bordée furieuse" effaça de son séant l’empreinte du geste incongru de son supérieur. 

Repu des largesses de sa logeuse, de retour dans sa chambrée face à l’océan, Jonathan Smith tritura sa cervelle troublée pour inscrire la formule « ad hoc » sur son livre de bord pour cette journée :

         Année de Grâce 1652, à Port-Royal de la Jamaïque. 
         
Aujourd'hui, onzième jour de mars, nous venons d'obtenir le visa d'escorte de l'Asturias.
     
    Nous avons acquis des tenues de notre propre armée, afin que nos hommes soient présentables. 
     
    La partie est engagée... Vive l'Angleterre. 
          
L'Officier en Second, Jonathan Smith. 

 

* * *

Port-Royal de la Jamaïque, le mardi 12 ème jour de mars 1652.

Comme convenu avec bosco Le Ghien pour le lendemain, Smith en passant, confirma l’enlèvement de la quinzaine de tonneaux, entrevus la veille dans la cour de la taverne du «Cochon volant » et qui constitueraient l'essentiel de sa cargaison. Il ajouta que deux barriques de plus, d’une « inestimable valeur » arriveraient dans la journée et laissa à Timothée, la bourse à remettre en échange au livreur.
En vrai capitaine de caboteur devant profiter de la protection de “l'Asturias”, Smith avait déclaré à la Casa qu'il transportait des alcools Ecossais et des vins de France, au bénéfice d'une noble famille de Santiago de Cuba.
Et, lors de la perception des alcabalas vertigineux correspondants, il avait précisé à "l'aimable préposé du Trésor" que la maison de Glasgow, dont il était le commissionnaire, fournissait en rares liqueurs les plus hauts dignitaires de l'île. Devant les yeux ébahis du fonctionnaire, il avait ajouté que ses fortunés clients avaient envoyé, depuis Cuba, une escorte de deux officiers afin d'en surveiller l’heureux transit jusqu'à bon port.
L'information fut consignée très officiellement sur l'ordre de mission et l’ensemble dûment signé et cacheté.
Deux jours s'écoulèrent en préparatifs sans que Jonathan Smith ne revoie S.G.Somerset; c'était convenu ainsi, sauf si l'ordonnancement de leur affaire venait à être bouleversé par quelques imprévus.
Il prévint sa logeuse de son départ imminent, s'acquitta de son loyer et rangea sa quittance dans le maroquin qui contenait tous ses papiers. Son sac de marin sur le dos, il quitta avec regrets le lit douillet de l'aubergiste afin de rejoindre un nouveau bord plus spartiate, à savoir la barque pontée dénommée la “Rose-Mary”.

Dos à l’océan et coupant au plus court l’avancée rocheuse de la forteresse San-Carlos, l’Anglais obliqua vers l’intérieur de la rade en longeant la palissade de la caserne. Il brusqua, d’un « Ola ! » goguenard, le planton au lourd morion assoupi appuyé sur sa hallebarde devant sa casemate.
Il plaqua son foulard sur le nez lorsqu’il redescendit sur la grève appelée ici « la marre chocolat ». Une anse puante à l’eau croupie où étaient parquées vivantes, les énormes tortues de mer attrapées au large. Vaste troupeau remuant de carapaces vertes attendant d’être découpées et vendues en quartiers au marché du port un peu plus loin.
Ici commençait le domaine des pêcheurs et c'est là qu'il avait fixé un rendez-vous à quelques-uns de ses hommes.
Jouant aux dés sur un demi-tonneau entre les canots tirés sur le sable, une demi-douzaine de ruffians attende sa venue sous des filets tendus.
A l'arrivée du lieutenant, les deux seuls marins se lèvent et saluent du doigt au bonnet, alors que les autres, peu enclins à la discipline, restent vautrés à l’ombre des pirogues retournées.
De quelques jurons bien sentis, Smith les tire de leur paresse. Sans lambiner, il répartit les tâches de la matinée.
Rapidement, deux hommes entrent dans l'eau et s’éloignent en nageant pour ramener la “Rose-Mary” de son mouillage en rade. Pendant ce temps, les autres ont à peine plus de mille pas à parcourir jusqu’au « Cerdo Volador » et de sa charrette à charger de barriques.
Manœuvre sous les ordres du quartier-maître Le Ghien. Futailles qu'ils vont transporter jusqu’à une lagune masquée par une forêt de roseaux à quelques distances du port; lieu discret où le chargement aller s'effectuer dès leur retour.

Menée à la godille, la grosse barque pontée s'approcha d’un reste de passerelle, en fait trois planches grossièrement clouées sur des troncs moussus fichés dans la vase, où l’attendait le lieutenant. Passant son baluchon et son cartable au marin, Smith accepta la main tendue et enjamba le franc-bord. De son aviron, le barreur repoussa le bateau dans l'eau plus profonde alors que le second marin hissa à la volée, la grande voile fatiguée.
A peine étarquée, la toile rapiécée se gonfla à la petite brise et la Rose-Mary s'ébranla. Alors, sur l’avant, on envoya une trinquetaille entre le bout-dehors et une poulie volante située aux deux tiers du mât. Une fois l'écoute unique bordée et tournée au taquet, le barreur tâta le vent en quête de la meilleure allure qui conviendrait à l’esquif. Il accrocha l'Alizé au détour du cap du fort San-Carlos et la barque encore légère se mit à la gîte et gagna de la vitesse. 
 

Dès qu’il prenait la mer, Jonathan Smith revivait. Oppressés par les remugles de PortRoyal, ses poumons s’emplissaient de nouveau de l'air vivifiant du large. Il trouva sa place à la contre-gîte et regarda avec un plaisir certain, l'eau courir le long de la vieille carène.
Disposant de deux bonnes heures avant que les hommes ne reviennent avec leur chargement de tonneaux, il mit à profit ce précieux temps pour tester son nouveau bateau, pour laisser courir la grande barque au près bon-plein, allure qu'elle semblait particulièrement apprécier.
Alors, embouquant le chenal ils mirent le cap vers le large et les eaux profondes.

L'équipage fut de retour vers dix heures avec le charreton plein à ras-bord de barriques vides.
Tirait par une paire de bœufs aux cornes recourbées, aiguillonné par quelques taons, le charroi quitta PortRoyal par la poterne du Levant. Abandonnant, bientôt, la piste carrossable de la presqu’île pour s’enfoncer dans la forêt par un chemin creux jusqu’au lieu embusqué du rendez-vous.
Situé tout juste à trois encablures du chantier naval, c’était vraiment le bout du monde. A peine plus loin, le chemin s’amenuisait en sentier, traces tenues des indiens Tainos pêcheurs de crabes de vase, gros et nombreux dans la lagune, entre les racines des palétuviers.
La charrette pleine de tonneaux est arrêtée au milieu du layon ; libérés de l’effort sur leur joug, les bœufs tendirent leurs cous pour brouter les herbes grasses des talus. Alors s’éloignant des mouches énervantes, les quatre hommes se tapirent sous des arbres à noix, aux feuilles rondes et vernies qui poussent sans redouter le sel, à la lisière du ressac.
Ils n’émergèrent de l'ombrage qu’une fois en vue la barque pontée, quasi à sec de toile, prêtre à embouquer la passe de l’échancrure dérobée dans les roseaux. Dans une manœuvre rapide et sûre, le grappin fut mouillé assez loin et on laissa filer sa corde. L’esquif courut sur son erre et pivota le nez au vent, dès que la tension sur l’ancre au fond fut suffisante. En tournant le bout à la proue, le marin contrôla la distance du bateau à la grève couverte de cannes. Relâchant du câblot, il le laissa culer jusqu’à deux pieds d’un grand cocotier abattu, qui serait un poste d’amarrage très acceptable.
Point de crainte pour l’embarcation à fond plat, les marins de Smith étaient du coin et connaissaient le moindre caillou. Aussi, la grande barque pontée s'approcha à toucher le tronc, maintenue à distance pour respecter son fragile gouvernail, et on l'amarra ainsi.
L’un des hommes, aidé de “huhau!” rauques, fit reculer le chariot jusqu'à avoir l’essieu dans l’eau boueuse ; alors, les quinze tonneaux furent basculés à la mer et flottèrent en troupeau… car on pensa -à tort- qu’ils se rempliraient tous seuls.
Il fallut le poids conjugué de trois gaillards, chevauchant ensemble chaque fut avec son trou à fleur d’eau, pour qu’enfin il se remplisse et coule.
On fit de même pour les quinze, qu’on amena un à un contre le flanc de barque. D’un coup de maillet on ferma leurs bondes de gros bouchons en liège, qu’on n’avait pas oubliés. Enfin, soulevé en force par les matelots, on les hissa à bord.
Bientôt, toutes les barriques pleines furent rangées sur le pont du bateau et on les arrima solidement.
Sur la charrette, subsistaient deux tonneaux forts lourds et plus gros que les autres qui furent descendus avec d’infimes précautions.
Avant qu’ils ne disparaissent dans les fonds de la grande barque, Smith, méfiant sur la franchise du vendeur, força de sa lame les couvercles pour vérifier qu’il contenait les uniformes et les armes acquises la veille chez le fripier… à cette heure soldé de son achat!
      « Mais à Port Royal, c’est reconnu : les loups ne volent pas les loups »… Et tout était là et bien là.
Dans l’un des futs, des tenues noires en drap épais calaient les sacs de jute des six mousquets suifés d’un modèle scié de marine et de six pistolets.
Dans l’autre, des vareuses rouges pour six soldats, autant de cornes pleines de poudre, des sacs de balles de plomb idoines de 16 à la livre, des sabres courts, haches et deux grappins. L’anglais récupéra aussi « sa prime »: un pistolet à crosse ornée d’entrelacs d’argent et son petit nécessaire…
Le cadeau du fripier pas si roublard que cela !
Le soleil au zénith, marqua la mi-journée. Servant de bâche, on immobilisa solidement le tout sous une voile usagée en croisant et recroisant les cordages, manœuvre destinée à rebuter l’inspection du fonctionnaire de la Casa le plus obstiné.
Smith, encore à terre, constata que la ligne de flottaison était descendue de plusieurs pouces, mais, n’ayant plus son lest, sa barque restera déséquilibrée dans les hauts… jusqu’au moment où sa cale, bondée des solides gaillards qui vont s'y entasser, reprendra son assiette normale.

Alors que deux hommes ramènent la charrette vide à la taverne, le reste de la troupe embarqua. L’amarre du tronc est larguée et le câblot du mouillage souqué dirige l’esquif alourdi vers le milieu de l’anse. Du devant, un homme plonge et dégage, sous les six pieds d'eau, le grappin de la vase.
Il ne reste plus qu'à hisser les voiles et, en passant à son aplomb, récupérer l'ancre libérée. Ils gagnèrent le milieu de la baie et grisé par la vitesse rapidement acquise, le jeune lieutenant ordonna au barreur de dépasser la Pince du Crabe du San-Carlos et de traverser le chenal, en tirant un bord de deux milles environ, jusqu’aux hauteurs boisées situées sur l’autre rive.
Etrave plein Sud, l’esquif longea au vent les rochers abrupts frangés d’écume que l’océan venait largement battre. A la limite des houles puissantes du grand large, les flamboyants rouges vifs embrasaient le vert sombre des frondaisons.
Des fortins flanquaient partout les éminences et on devinait, sans peine, les bouches menaçantes des batteries sous la garde des artilleurs espagnols. D’ailleurs les fumées bleues de leurs pitances montaient de chaque hauteur et attestaient de l'occupation effective des redoutes.
L'approche de Port-Royal et plus encore de la ville naissante de Santiago de la Vega, positions commerciales stratégiques de l’empire au cœur des Antilles, étaient assurément bien gardées.

Jonas Smith, rassuré par la marche satisfaisante de son acquisition alourdie de sa réelle cargaison est certain que S.G.Somerset, son commandant, sera pleinement content de l’exécution de sa mission. Un mille au travers fut parcouru, avant son ordre du demi-tour et d’étouffer la grand-voile.
Ainsi, c’est comme un caboteur arrivant du large et respectueux des usages, que la « Rose-Mary », chargé de ses barriques bâchées, embouqua le milieu du chenal sous faible allure. C’est sous voile d’avant seule, que la barque pontée dépassa la Pince du Crabe et que son capitaine salua avec courtoisie les guetteurs de la forteresse San-Carlos.

* * *

Dès la passe franchit, l'Asturias se profila à l'horizon, dépassant largement de sa haute mâture le reste des espars de la rade.
Le grand canot peu toilé, se glissa à une portée de couleuvrine du grand château-arrière majestueux, tout rutilant de l’or des énormes lanternes qui le surmontaient. Poursuivant sa route, la barque surchargée de futailles passa près de la voûte d'arcasse où le haut de son mât dépassait à peine, le niveau des mantelets des sabords de fuite.
La “Rose-Mary” remonta à la hauteur des liures de cap de mouton, ces renforts ligaturés des innombrables haubans qui emprisonnaient dans une gigantesque toile d'araignée, la grande-hune à demi-mât puis plus haut, le minuscule balcon de corne et le nid de pie de la vigie.
Chacun put voir que les gabiers s’activaient dans les hautes vergues et préparaient les toiles en vérifiant toutes les manœuvres courantes.
Cette fébrilité, dans les hauts, confirmait le prochain départ de l’Asturias.
Et, au passage de la “Rose-Mary”, un guetteur, perché dans les échelles de haubans, annonça l'apparition de voiles à l'horizon. Cette nouvelle, renvoyée de hune en hune par les sentinelles, s’envola vers la terre pour faire le tour de Port-Royal à la vitesse d'un trait d’arquebuse.
Aussitôt, les badauds excités envahirent le rivage de l’océan pour accueillir les navires venant d’Europe...
Des fois qu’arriva, enfin, l’Armada des femelles attendues!
Hélas, la populace va déchanter une fois de plus. Point de nouvelles épouses à l’horizon, ce n’était que le convoi de transport annoncé avec justesse par le flibustier S.G.Somerset...
Et celui-ci, depuis son perchoir du mur-clocher, n’a rien perdu de l'arrivée prochaine des galions et jubile de contentement : l'animation extraordinaire consécutive à l'événement, va grandement faciliter l’embarquement de sa mauvaise troupe.
La flottille, qui avait forcé l'allure, sera, tout au plus dans deux heures, au bout de son interminable périple. L'appareillage de l’Asturies, embarquant les passagers arrivant d’Esp
agne pour Santiago de Cuba aura sans doute lieu dès demain ou au plus tard, le surlendemain matin. 

Du grand calme sous le vent du vaisseau de ligne l’Asturias, où il attendait, Jonas Smith fit revenir à la rame la « Rose-Mary » vers le quai principal et l’immobilisa juste en face des locaux de la Casa del Océano. Suivant la procédure habituelle des caboteurs, à l’ordre du maître de port, le capitaine doit accoster au ponton pour présenter son brevet et faire vérifier par le fonctionnaire évaluateur, la concordance de sa cargaison avec les alcabalas payées d’avance. 

Mais aujourd’hui sur les quais de Port-Royal, le lourd convoi annoncé dans l’heure précipitait les services assoupis du « Quinto Réal » ; tous soudainement sont pris d’une incroyable fébrilité :
Ses fonctionnaires s’agitaient car les courtiers des cargadores arrivaient au grand galop alors que la prévôté nombreuse s’activait au gourdin pour libérer les appontements encombrés au bénéfice des canots débarquant les passagers.
Aussi, c’est dans l’affolement général que la Casa se désintéressa du sort de la « Rose-Mary ».
Alors, portée par le léger courant de la passe, la grosse barque chargée de futailles s’éloigna sans demander son reste. Elle croisa dans sa lente dérive, les nageurs affairés sur leurs chaloupes -préposés aux remorquages des navires jusqu’aux pontons- qui souquaient en cadence à la rencontre des galéones.
C’est donc loin des Autorités portuaires -que Jonas Smith inconsciemment redoutait- qu’il mouilla son ancre et accosta quelque part entre le bastion del Norte et les premiers berceaux des coques en travaux du chantier naval. Alors, couvrant les bruits du port, s’enfla la clameur de la foule.
Les premiers excités dévalaient en hurlant le goulet du rempart de San-Carlos, pour se ruer vers le marché aux tortues, afin d’être devant sur le quai et ne rien manquer des « Voyageurs huppés arrivant d’Espagne ».
Le plan imaginé par le capitaine Somerse
t se déroulait comme prévu. Dès la nuit tombée, il ne resterait à Jonathan Smith qu'à assurer l’embarquement de la vingtaine de renégats de son équipage. Ils allaient s'entasser, avec armes et très peu de bagages, dans la cale ventrue de la “Rose-Mary” et y rester enfermés au grand secret, jusqu'au large où l'action les attendait.


Les voiles carrées de trois navires grandirent sur l'horizon jusqu’à apparaitre entières à l’orée des ilots de la passe ; il s'agissait bien de galéones de transport, lourdes et profondément enfoncées dans les flots.
Apparemment, la petite flottille, qui cinglait aujourd’hui vers le chenal de Port-Royal et son salut, avait échappée à l'appétit des pirates...
C’était un vrai miracle. 

 

FIN DU PREMIER CHAPITRE

 
Averia : Nom donné à une taxe destinée à couvrir les frais des navires d’escorte.
Almojarifazgo : Taxe variable de 10 à 20% sur les produits circulant dans  l’empire.
L'Etiquette : Le respect des usages demeurait l’une des obsessions de Samuel Georges Somerset et devant lui, toutes choses devaient être réalisées suivant un protocole justement prévu et sans l'ombre de la moindre déviation. Le capitaine avait hérité cette phobie de son apprentissage de marin, inculqué par le biais d’un cuisant souvenir gravé dans sa chair à grands coups de ceinturon. Sévère punition corporelle, qu’il écopa, à la suite d’une improvisation désastreuse du règlement de la marine royale, en présence d’un officier supérieur de Sa Majesté. Son écart avait coûté des remontrances sévères à son maître d'équipage d'alors et, sans doute, un frein sérieux à ses espérances d'avancement. Depuis lors, Somerset faisait apprendre à quiconque, entrant sous ses ordres et cela dès la première minute, le long chapelet des obligations de respect, d’obéissance, de discipline, liées au protocole qu'il entendait voir exécuter à son bord ou, comme ici, simplement en sa présence. Il avait fait rédiger à cet usage, par un plumitif de la Tortue, un véritable règlement de l’Etiquette qui n’avait rien à envier à celui, déjà très alambiqué de la cour du jeune souverain Louis le Quatorzième. Si ce règlement valait loi, son application s’était assouplie d’une façon originale pour l’adapter aux réalités interlopes de son équipage. Aussi, à son bord, les plus petites incartades étaient punies; non du fouet, très à la mode sur les navires et réservée aux fautes graves mais, simplement, comptabilisées et déduites en argent des partages des butins.
Ainsi, chacun observait la discipline journalière en fonction de sa bourse et des moyens financiers qu'il avait de défier le protocole du capitaine. Sous cette contrainte pécuniaire, tout fonctionnait avec harmonie sur ses navires.
Réseau d'espions : Comme tout chef de la flibuste qui se respecte, Somerset disposait d’un formidable réseau d'espions qui quadrille pour son compte -et sans doute pour quelques autres chefs pirates de son acabit- toutes les Grandes Antilles. Il recevait des informations des confins de la Nouvelle-Espagne, de la lointaine Barbade, de la douce Martinique, de sa sœur française de la Guadeloupe, d’Hispaniola et sa toile d’araignée s’étend jusqu'au Cap San-Antonio, à l'extrême couchant de Cuba. Ses informateurs le renseignent des mouvements survenant sur toute l’immense mer intérieure que ses navires peuvent écumer. Partout, des pêcheurs, des vagabonds des mers, des boucaniers, des pilotes de ports, cabaretiers et gredins de toutes espèces ouvrent l’œil et font circuler les nouvelles utiles pour élaborer ses courses. Leurs informations convergent ici-même, à la taverne du “Coq Rouge”; lieu où on sait toujours où le joindre. Dans ce monde de scélérats, chaque action profitable - comme d’ailleurs chaque fourberie- est enregistrée par Somerset; des fois qu'il faille, un jour, régler des comptes au détour d’un abordage.
Ici, la reconnaissance du “Capitaine Boucher”, toute aussi proverbiale que sa rancœur, prévaut bien plus dans la balance que celle du roi d'Espagne.

Bagasse : Restes des cannes à sucre après leur écrasement pour en extraire le jus.
Les chargements d'esclaves arrivant d'Afrique : Après des mois de mer, le chargement de nègres nus, tenant à peine debout sur les pontons, était estimée par les commissaires-négriers. La marchandise humaine, amaigrie par les affres du désespoir, dépréciée par les malheurs du voyage, était rachetée au plus bas prix souvent à cinquante ou soixante livres pièce, aux armateurs négriers hollandais et français.
Après ce premier négoce, ce peuple sombre était conduit en troupeau apeuré vers des baraquements du Gouverneur où, tous, seront engraissés quelque temps. Non par soucis d’humanité mais pour être plus présentables aux planteurs de l'intérieur qui se les arracheront à prix d'or.
Ceux-là paieront deux cent livres les spécimens les plus costauds, voire deux cent vingt livres, “l’un dans l’autre” les négresses engrossées.  Il faut dire que la dureté des travaux de déforestation, des mines comme ceux des plantations de canne à sucre, décimaient ces hommes dolents plus vite qu'il n'en parvenait d'Afrique.
Flottas : On appelait ainsi les convois traversant l’Atlantique venant d’Espagne, Flottas de Oro ou de Plata, les convois en retour chargés des trésors du nouveau Monde.
Maître bau : Nom donné à la plus grande largeur d’un navire.
Tirant d’eau : Profondeur du navire sous la ligne de flottaison.
Mantelet des sabords : Volets de bois qui obturent les sabords, ces ouvertures de la coque d’où tirent les canons.
Couleuvrines et faucons : Petits canons à mitraille de pont, montés sur des axes ou des fourches et manœuvrables par un seul homme.
Maravédis : Petite monnaie d’argent. Il fallait environ 21 maravédis pour faire un Réal.
Dame-jeanne de ratafia : Cruche en terre a col fermé qui contenait du rhum.
Corcovado : “Jeu du Crucifié” où l’on pique son poignard de plus en plus vite entre ses doigts écartés sur le dessus d’une table.
Alcabalas : Ensemble des taxes perçues sur le commerce entre les colonies.
Godille : Manœuvre effectuée avec une rame unique.
Trinquetaille : Voile triangulaire d’avant, ancêtre de la trinquette et du foc.
Embouquer : Se dit d’un navire qui entre dans un chenal, un port, une embouchure.
Pulvérin : Poudre noire à fort pouvoir détonnant utilisée pour les amorces.
Voûte d’arcasse : Débordement du château-arrière en surplomb du gouvernail.
Liures de cap de mouton : Fortes attaches des haubans des mâtures sur les flancs  du navire.
Convoi de femmes : Pour la petite histoire, rappelons qu'un cruel manque de femmes se faisait sentir à Port-Royal et d'ailleurs, à peu prés partout dans les îles du Nouveau Monde. Régulièrement, on annonçait l'arrivée d'un bateau complet d'Européennes qui viendraient renouveler les lots de matrones métissées, de négresses et d’indiennes qui formaient la majorité de la gent féminine de ces colonies.
Tous les hommes du port avaient le cœur battant à l'idée de voir de nouvelles femmes blanches, bien habillées, gracieuses et maniérées comme les doñas distinguées entrevues sous leurs mantilles lorsque les notables espagnols quitter leurs estancias pour se pavaner en ville.
Terra Firme : Terre Ferme, cri des vigies à l’annonce d’une terre et par extension, vocable pour désigner les territoires du continent en opposition avec les îles.
 
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